Le papier conjure-t-il la menace ? Cartes d’identité, incertitude documentaire et génocide au Rwanda
Published 2019-08-01
Keywords
- cartes d'identité,
- Etat documentaire,
- ethnisme,
- falsification,
- génocide des Tutsi
- incertitude documentaire,
- racisme,
- Rwanda,
- documentary state,
- documentary uncertainty,
- ethnicism,
- forgery,
- genocide against Tutsi,
- identity cards,
- racism ...More
How to Cite
Copyright (c) 2025 Florent Piton

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Abstract
Le rôle des cartes d’identité permettant, pendant le génocide des Tutsi du Rwanda, d’identifier les cibles des massacres est bien connu. Cette utilisation des papiers s’inscrit dans la longue histoire de l’État documentaire rwandais. Dès les années 1930, les catégories Hutu, Tutsi et Twa furent inscrites sur les papiers, une pratique maintenue après l’indépendance parce qu’elle permettait, pour la république racialiste qu’était devenu le Rwanda, de contrôler les Tutsi et la place qu’ils occupaient dans la société et dans le système politique. L’angoisse de submersion s’accompagnait toutefois d’une obsession, celle des falsifications « ethniques », moyen pour les Tutsi de contourner les quotas auxquels ils étaient soumis. Lorsque débuta en 1990 la guerre contre le Front patriotique rwandais, ce double mouvement – nécessité de l’identification « ethnique » d’un côté, incertitude documentaire de l’autre – fut un thème récurrent de la presse extrémiste. Dès lors, le rôle des cartes d’identité pendant le génocide est ambigu : de multiples règles sont édictées pour vérifier les papiers, mais des rumeurs persistantes soulignent en même temps le manque de fiabilité de ces papiers. Des instruments alternatifs de véridiction sont donc mobilisés, sans se traduire toutefois par un effacement du rôle de l’État : l’incertitude et l’insécurité documentaires n’engendrent pas nécessairement une défiance bureaucratique.
Papers to Ward Off the Threat: Identity Cards, Documentary Uncertainty, and Genocide in Rwanda
It is well known that ID cards have played a major role in identifying victims during the Rwandan genocide against Tutsi. This use of papers belongs to the long history of Rwandan documentary state. Categories of Hutu, Tutsi, and Twa have featured on papers since the 1930s and have remained on after the independence, because they allowed Rwanda as a racialist republic to control the Tutsi and their place in the society and in the political system. Yet, the dread of being overruled went hand in hand with an obsession – “ethnic” forgeries as a means for Tutsi to bypass the quotas they had to comply with. When the war against the Rwandese Patriotic Front began in 1990, this double process – need for “ethnic” identification on the one hand, and documentary uncertainty on the other – was a recurring feature in the extremist press. As a consequence, the role of ID cards during the genocide is ambiguous: various rules were set up to check on papers, while persisting rumors insisted on the unreliability of these very papers. Alternative means of verification were used, but they did not come with the weakening of the State’s role: documentary uncertainty and insecurity did not necessarily bring about bureaucratic mistrust.